Napoléon I, marin ?

Nous sommes à Bayonne en 1808. Napoléon s’y est installé pour mieux diriger ses affaires en Espagne. Ces quelques lettres montrent que, au moins à cette époque, Napoléon manifestait quelqu’intérêt pour la Marine.

  • extrait de la Correspondance de Napoléon I – t 17, 1808 (d’après la minute. Archives de l’Empire).
  1. AU VICE-AMIRAL DECRES, MINISTRE DE LA MARINE, A PARIS.
    Bayonne, 1″ juin 1808.
    Je désirerais faire construire un vaisseau de 74 à Bayonne, parce que le cœur me saigne de voir les bois se pourrir, et que je dépense 500,000 francs pour faire transporter 100,000 pieds cubes de bois dans la Garonne et davantage pour les transporter jusqu’à Rochefort.
    Il y a sur la barre 14 pieds d’eau ; il y a 36 à 40 pieds d’eau en dehors de la barre; le tout est donc de passer la barre. Je ne sais pas pourquoi un vaisseau de 74, qui tire 16 pieds, ne passerait pas, étant allégé par les chameaux, qui allègent de 6 à 7 pieds.
    Je désire que vous fassiez venir de Hollande l’officier hollandais qui a déjà été à Venise ; qu’il se rende en poste ici ; car si, après avoir causé avec le pilote et vu lui-même la barre, il juge possible de la faire franchir à un vaisseau de 74, je le ferai mettre sur-le-champ en construction. Jadis, un vaisseau de 50 canons a passé la barre avec beaucoup de peine, mais sans chameaux. L’autre jour j’ai vu la mer calme à la barre, et cependant nous ne sommes pas dans les mois calmes ; les bâtiments qui y passaient n’éprouvaient aucun mouvement.
    On ne devrait jamais construire à Rochefort, qui n’est qu’un port de réparation ; Lorient, le Havre, Anvers, voilà les ports de construction de la France.

Bayonne, 2 juin 1808.


Monsieur Decrès, l’escadre russe n’a rien à craindre à Trieste, puisqu’elle est en dedans des jetées. Les Anglais ont bien autre chose à faire que d’aller insulter les quatre cadavres qui sont là.


On vient de me rendre compte qu’un petit paquebot anglais appartenant à un armateur de Bordeaux se trouve au Passage. Il est doublé en cuivre et bon marcheur. Je viens d’ordonner au capitaine Beaulieu de le visiter, et je l’achèterai s’il est bon. J’attends le brick frégate la faut en faire un ponton et une machine à mâter pour ce port. Les ingénieurs m’ont fait un rapport sur ce port; ils me proposent d’y dépenser un million, et en espèrent de bons effets. Je vais y dépenser 400,000 francs en plusieurs années, et si je m’aperçois qu’ils produisent quelques bons résultats, je les ferai continuer.J’ai écrit au ministre d’Etat Lacuée pour qu’il vous fournisse 500 conscrits, qu’il dirigera sur Bayonne, pour former les cinq équipages qui se réunissent à Lisbonne.


Une des mouches qui sont ici pourra partir avant le 10 août ; envoyez des ordres ici pour l’expédier sur Cayenne. Il faut la charger de dix ou douze tonneaux de farine; cela fait toujours deux cents quintaux, c’est-à-dire de quoi nourrir 200 hommes pendant cent jours, ce qui fait toute ma garnison de Cayenne. Il faut expédier la seconde, qui sera prête avant le 20 juin, sur la Martinique ; elle portera des dépêches, des nouvelles et de la farine pour mes troupes de la Martinique pendant dix jours. Recommandez qu’elles reviennent chargées de marchandises coloniales. Je vous ai déjà écrit pour ce grand objet.
Je viens d’avoir des renseignements et des plans sur la Spezia. J’ai pris un décret pour en augmenter les batteries, qui me paraissent déjà très-formidables. Le lazaret me parait propre à contenir tous les magasins. La localité me paraît extrêmement favorable pour la défense du côté de terre, puisqu’en défendant un isthme de cinq à six cents toises, on défend toute la presqu’île, qui a six milles de tour. Le Porto-Venere, la cale des Corses et les autres petites cales, chacune de trois à quatre cents toises de profondeur sur deux à trois cents toises de largeur, seront à l’abri de toute attaque. Il est nécessaire d’avoir un commissaire de marine à Livourne pour correspondre avec le préfet maritime de la Spezia et organiser tout cela.


Qui doit désigner l’emplacement de chaque établissement à la Spezia ? Est-ce un seul individu ou une commission? J’ai besoin de le savoir pour la direction à suivre pour centraliser tout dans le seul point que je veuille défendre. Je désire qu’on ne perde pas un moment. On m’assure que les cales pour des vaisseaux ne coûteront pas plus de 20,000 francs. La côte de la Spezia à Livourne, qui n’avait aucune importance, va en avoir. Il n’y a sans doute pas de batterie; jetez un coup d’œil sur la carte, et entendez-vous avec le ministre de la guerre pour établir des batteries où elles sont nécessaires. Ecrivez à mon chargé d’affaires à Lucques et au général Menou pour ce qui les regarde. Il me semble, après ce que l’on me dit, qu’on peut faire au lazaret des magasins pour tout. Il n’y aura donc à s’occuper sérieusement que de la machine à mâter et de la corderie. Comme nous n’aurons pas de vaisseau à la mer avant un an, nous avons le temps de penser à la machine à mâter. Quant à la corderie, c’est un objet d’une grande dépense. Je ne sais pas s’il y en a une à Gênes ou à Livourne. Donnez vos ordres au préfet maritime, et tracez vos directions sur tout. Il faut pour cela avoir un grand plan sous les yeux. Il me semble que tous les objets d’artillerie seraient fort bien placés au fort Saint-Barthélemy.
Napoléon.

AU VICE-AMIRAL DECRES, MINISTRE DE LA MARINE, A PARIS.

Bayonne, 13 juin 1808.


J’approuve que le brick le bricks le se dirigent tous sur la Martinique et la Guadeloupe; ce qui assurerait l’approvisionnement de ces îles pour six mois, si on y envoyait du bœuf et du lard; mais, comme on n’y enverra ni bœuf ni lard, et que les garnisons ne seront pas aussi considérables que vous les portez, cet approvisionnement pourra être de neuf mois. Enfin, comme l’on peut donner des patates et du blé de Turquie aux troupes, on peut mettre trois mois de rations de pain de plus et avoir ainsi des vivres pour un an. Quant à Cayenne, au Sénégal, à Santo-Domingo et aux îles de France et de la Réunion, je ne veux y expédier aucuns vivres.
Vous remarquez que la farine de Bordeaux est la meilleure. Mon intention est que tout ce que vous expédierez depuis la Loire jusqu’à l’Escaut, d’où vous ne pouvez expédier des farines de Bordeaux sans des frais énormes, vous l’expédiiez en biscuit. Faites-moi connaître quelles sont vos objections contre cette idée. Il me semble que le biscuit se conserve sept mois en mer, à l’humidité. Les secours que vous proposez, joints à ceux que les colonies peuvent tirer du commerce, joints à ceux que peuvent leur porter les aventuriers américains et les corsaires, conduisent à un résultat très-satisfaisant.


J’approuve, en outre, que les trois vaisseaux de Rochefort, le cuivre, du tonnage de 2,000 tonneaux, ce qui, avec le vins, et soient organisés de manière à aller à l’île de France, à la Martinique, ou partout ailleurs. Cette expédition, ou fera partie de l’expédition générale, ou fera elle-même une expédition particulière.


Il y a de l’effervescence en Espagne. Peut-être se calmera-t-elle promptement. Si elle ne s’apaise pas bientôt, elle se propagera sans doute aux colonies, et alors j’aurai besoin d’expéditions toutes faites pour prendre possession de quelques colonies. Mais je ne désire pas que la Sapho et l’Hébé soient jointes à l’expédition de Rochefort ; je désire qu’elles soient envoyées en aventurières.
En dernière analyse, je veux me préparer trois moyens d’approvisionner mes colonies : 1° les douze expéditions séparées faites à mes frais; 2° les expéditions que fera le commerce; 3° l’expédition de Rochefort.
Quant aux prétentions du commerce de Bordeaux, je ne sais pas assez bien cette question pour la juger. Si le commerce demande que vous preniez le cinquième des tonneaux, cela est juste; je me suis engagé à le prendre. Le prix doit s’en régler à l’amiable et selon le prix de tous les temps. L’avantage que je fais au commerce est de le payer quand même le bâtiment se perdrait. Si, au contraire, le commerce veut tout expédier à ses frais, je ne m’y oppose pas. Quant aux conscrits passagers, c’est encore une faveur que je fais au commerce; toutes les fois qu’il n’en voudra point, je n’insisterai point.
Napoléon.