Le biscuit de mer

Le biscuit de mer (1) a été pendant plus de 2.000 ans la nourriture de base
tous les marins européens et arabes, un aliment riche sous un petit
ume et d’une longue conservation. Les marins grecs l’utilisaient et Pline
Ancien (2) raconte que les marins romains utilisaient le panis nauticus ».
l’époque romaine, les génois (3) étaient connus pour embarquer du
scuit à bord.
Le moine Abbon y fait allusion au 10e siècle sous le nom panis biscotus ».
u 13e siècle, il était d’usage à Venise que chaque passager ou marchand
embarque avec lui du biscuit et de la farine pour le pain frais pour la durée
voyage. Déjà en 1390, Froissard se préoccupait de faire faire une
grande quantité de biscuits pour la provision de l’armée de mer estant de
présent en la coste de Provence ». Un règlement publié en 1441 à Gênes,
corde à chaque matelot 30 onces de biscuit par jour.
cette époque, le biscuit de mer se vend aussi bien à terre qu’en mer et
toute l’Europe, car il a l’avantage de mieux se conserver que le pain
ordinaire, ce qui est précieux pour un marin en mer pour plusieurs jours.
e panis biscotus » va devenir le besquis », c’est à dire le pain cuit deux
is comme l’explique Joinville, le biographe de Saint-Louis. Aussi, lorsque
es grandes traversées commenceront à l’aube de l’époque moderne, le
iscuit sera naturellement l’aliment de base du marin.
était distribué généreusement (453 g par jour pour le marin anglais, 550
g pour son homologue français du Ponant et jusqu’à 2 livres pour les
galériens français), et constituait plus de la moitié des calories absorbées
ournellement.
Un rapport d’avitaillement (4) établi à Dieppe en 1512 note « pour vng
s de trente jours Pain biscuyt, sept cens cinquante douzaines, qui est
troys pains pour jour pour chaicun homme, de la façon de Honne fleu (5) ».
e 25 aout 1543, François 1er écrit au seigneur de Grignan, lieutenant-
général en Provence :  » il faut bien prendre garde de point donner de
biscuit qui croque, estant important, surtout dans ces commencements
ue les équipages n’avent pas lieu de se plaindre de la qualité des vivres ».
recette
La recette du biscuit de mer ne semble pas avoir fondamentalement
changé au cours des siècles. C’est un pain longuement pétri, cuit
généralement deux fois pour lui faire perdre le maximum d’humidité. Il en
résulte une grande galette plate, ronde ou carrée, capable de se conserver
pendant plusieurs mois si elle est bien emballée. Ce biscuit de mer est très
nutritif (plus de 10% de protéines et présence de vitamines B).
Chaque port prétendait avoir ses recettes, comme ces renommés
boulangers de Honfleur qui faisaient leurs biscuits en deux étapes : dans
un premier temps fabrication d’une pâte à pain très fermentée (dite pâte à
pain brié) ; dans un deuxième temps, elle est mélangée à de la matière
grasse (19%), de la farine de pur froment (19%) et du sel (2%). Ce pain
était ensuite cuit en une seule fois.
Le biscuit devait être sec, cassant, avoir peu de mie, et se gonfler dans
l’eau sans se partager ni s’émietter. Il devait être fait avec de la farine de
froment, pure et sans son, salée et cuite au moins deux fois selon
l’ordonnance de 1689. Au 18e siècle, les biscuits de mer étaient des
galettes de froment de 150 à 180 g. La farine variait en qualité selon les
ports : elle était épurée à 35% à Brest, seulement à 15% à Toulon.
La fabrication réglementaire de l’époque était la suivante (6) :
· Mélange du froment, du levain et de l’eau (il n’y a pas de sel dans
le biscuit).
· La pâte est pétrie, très sèche. Cela nécessitait de la pétrir avec les
pieds !
· Mise en forme de la galette.
· On perfore le biscuit avec une crinette.
· Cuisson durant 1 heure et demi.
· Stockage pendant 6 semaines pour le ressuage de l’humidité.
En 1722, Antoine Parmentier et le pharmacien Cadet de Vaux imaginent
de nouvelles méthodes de panification pour remplacer le biscuit de mer
distribué dans les prisons et les hôpitaux (pain biscuité et pain de pommes
de terre) et mettent au point les boîtes étanches qui vont être adoptées
par les bords.
Philippe Macquer, dans son dictionnaire de 1801, nous donne une recette
quelque peu différente. Au lieu d’être cuite une fois, la pâte subit deux
cuissons pour les biscuits destinés au cabotage et quatre cuissons pour
ceux destinés aux longs voyages.
En fait, dans tous les ports importants, il y avait des boulangers pour cuire
le biscuit de mer artisanalement (Paimboeuf, Bordeaux, Saint-Servan, Eu ,
Honfleur, Varennes, etc.). Les plus célèbres sur la côte atlantique étaient
les boulangers nantais tous regroupés quai de la Fosse, pour être près de
leurs clients. La première exposition industrielle tenue à Nantes en 1825,
fut l’occasion d’un concours de biscuit, dont le jury notera : « ces biscuits
sont appréciés depuis longtemps par le commerce de Nantes qui les
embarque avec une confiance toujours soutenue ».
La Royal Navy avait des méthodes très similaires pour faire le biscuit, le
principe étant toujours de mettre le minimum d’eau dans la farine, de
pétrir la pâte afin d’obtenir des galettes plates que l’on cuit lentement. Le
biscuit était ensuite stocké dans des toiles, le tout enfermé dans des boîtes
en fer blanc (quand elles furent inventées). Autre point commun avec le
biscuit français : le goût immodéré des charançons pour ce produit !
tion
Malgré sa grande utilité sur le plan nutritif, le biscuit de mer n’était pas
toujours populaire, loin s’en faut. Mis en barils pendant des années, il était
souvent couvert de moisissures ou infesté d’asticots. Et il était dur à s’en
casser les dents.
Les témoignages sur ce point ne manquent pas. Nous avons noté ci-après
quelques remarques prises au hasard dans des journaux de bord
personnels aussi bien chez les officiers : « En réalité, nous ne mangions
jamais les charançons si nous le pouvions. Le biscuit était toujours bien
cuit avant d’être servi à table et, avant de le manger, il suffisait de le
heurter violemment quelques fois sur la table pour faire tomber les petites
carcasses brunes », que chez les matelots : a seule viande fraîche qu’on
cavait à se mettre sous la dent se retrouvait dans le biscuit […] il fallait se
rendre dans un coin sombre afin de ne pas voir ce qu’on mangeait ».
Horace Putman, marin à bord de La Plata ironise même : des biscuits qui
cauraient pu remplacer avantageusement l’ardoise pour recouvrir le toit des
maisons, puisqu’ils sont bien plus durs et par conséquent plus durables ».
Il était donc nécessaire de prendre un soin tout aussi particulier pour la
conservation du biscuit que pour sa fabrication comme le note Bonnefoux


Quand il est de bonne qualité et bien préparé, il se conserve, à
bord, plus d’un an. Il est convenable de le transporter, à bord, par un
temps sec, et que les soutes où on le renferme aient été dégagées de
toute humidité. Le Biscuit a l’inconvénient de ne se laisser pénétrer
que difficilement par les sucs digestifs ; et, malgré tous les soins qu’on
peut avoir pris, on le voit, souvent d’ailleurs, se moisir, en cours de
campagne, et se détériorer ; il devient, alors, désagréable et malsain.
On peut faire passer, de nouveau, au four, le Biscuit attaqué par les
insectes qui, ainsi que leurs oeufs, sont alors détruits par la chaleur. A
bord des grands bâtiments de guerre, on embarque, en farine,
jusqu’au tiers des rations nécessaires pour la campagne, et l’on fait,
dans le four du bord, du pain pour l’équipage ; comme le pain contient
une assez grande quantité d’eau, la ration en pain frais est, en
volume, un tiers en sus de celle du Biscuit.
Il paraît qu’on abandonne le moyen d’embarquer le Biscuit dans des
caisses en tôle où il était à l’abri des rats ainsi que de plusieurs
insectes ; et que, comme ces caisses étaient d’un emploi fort cher à
lor:#000000; »>cause du peu de soin qu’on en prenait quand le Biscuit en avait été
extrait, on en est revenu à le loger en grenier, dans des soutes brayées
et bien closes.
our garantir la conservation du biscuit, ce dernier est l’objet de
outes les attentions tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
nsi dès la sortie du four il est stocké dans un magasin
réalablement chauffé, situé au-dessus du four, complètement isolé
ar un lambris de planches calfatées. Il ne sera sorti que deux mois
us tard au minimum pour être directement plusieurs mois plus tard
our être embarqué après une dernière phase de maturation de deux
ois : « un mois pour ressuyer et autant pour le rendre rassis (8) ». Les
ulangers provençaux préfèrent à cette méthode le séchage dans de
rands greniers aérés.
s soutes à biscuit (9) du navire sont elles aussi préparées. Elles sont
oublées de fer blanc, calfatées, puis nattées entièrement avec des
attes de Provence. Six jours avant l’embarquement elles sont
auffées avec des poêles à charbon. Le biscuit peut ensuite être
mbarqué avec soin pour laisser le moins d’air possible. L’écoutille
era ensuite refermée et ne sera pas ouverte avant son utilisation.
Malgré les précautions prises lors de sa cuisson, le biscuit restait un
produit fragile, très sensible à l’humidité et moisissant facilement. Il
evenait alors désagréable au goût et était attaqué par des insectes.
On palliait à cet inconvénient en le chauffant au four pour tuer les
insectes et leurs larves.
Le biscuit avait un autre inconvénient non négligeable qui était celui
de sa friabilité sous l’effet de l’humidité. Il avait tendance à former
brisures que l’on appelait le machemoure. Ce machemoure (10)
était automatiquement déclassé et ne rentrait plus dans les rations,
d’où des pertes qui pouvaient être importantes.
grès en qualité
Il fallut attendre en fait le début du 19e siècle pour que l’on daigna
s’occuper de la qualité du biscuit dont le goût, quand il n’était pas
attaqué par les charançons ou la moisissure, était insipide. De plus,
l’inspecteur Général du service de santé Keraudren écrivait en 1825 :
italicen considérant cette substance sous le rapport alimentaire, on lui
creproche avec fondement de n’offrir qu’un pain dur, mat, qui trempe
difficilement et qui fatigue l’estomac par sa pesanteur ».
Le biscuit de mer, vu les énormes quantités que mangeaient les
marins et les soldats en campagne, fut l’un des premiers aliments à
bénéficier de l’industrialisation. C’est en 1833 que l’anglais Grant
construit un pétrin entièrement mécanisé avec dosage automatique
de l’eau et de la farine (11), à l’exception de l’extraction de la pâte du
pétrin qui restait manuelle. Installée à Portsmouth, cette machine
coûtait la bagatelle de 3 000 livres sterling, mais elle permettait le
fabrication de 160 000 livres de biscuit par 24 heures !
Le français Farcot présente à son tour un pétrin mécanique à
l’Exposition de 1834. Mais c’est un pétrin anglais que l’arsenal de
Toulon commandera en 1836 à l’ingénieur anglais John Rennie (12),
un pétrin qui ne donnera jamais vraiment satisfaction.
Les premières boulangeries industrielles privées n’apparaîtront en
France qu’en 1862. Un avatar du biscuit de mer, naît en 1886 dans les
fours de Lefèvre-Utile : le « véritable petit beurre LU » qui enchantera
des générations d’enfants à travers le monde.
Conclusion
Restait bien sûr, la possibilité de faire du pain frais. A bord des grands
bâtiments de guerre, on embarquait, en farine, jusqu’au tiers des
rations nécessaires pour la campagne, et l’on faisait, dans le four (13)
du bord, du pain pour les officiers et les malades, éventuellement
pour l’équipage. Mais le pain frais était pratiquement inconnu des
petits navires pour la simple raison qu’il nécessitait de l’eau pour sa
confection et du bois pour sa cuisson, et prenait donc beaucoup plus
de place que le biscuit dans les soutes. Kemp (14) note que
l’introduction systématique de boulangers sur les bâtiments de la
Navy, date seulement du début du 20e siècle.